AUX PAROISSIENS DE
SAINT-FRANÇOIS XAVIER
Mes chers Paroissiens,
Après tant d'autres, et comme
l'Église en fait un devoir aux pasteurs, votre curé s'est efforcé de vous
expliquer de son mieux les prières et les cérémonies de l'acte central du culte
catholique, notre Messe. Beaucoup d'entre vous lui exprimèrent leur désir de
conserver le texte de ces instructions familières.
En vain vous représentais-je
que sur ce sujet les œuvres abondent, tant pour aider notre piété que pour nous
instruire des origines et du développement de notre rite eucharistique. Vous
n'en insistiez que davantage. Pouvais-je vous refuser cette satisfaction alors
que vous m'aviez déjà tellement récompensé par le zèle que vous apportez à
prendre une part effective au Saint Sacrifice?
Voici donc ces instructions,
telles à peu de chose près que vous les avez entendues. Elles sont, vous le
pensez bien, tributaires des travaux que depuis une quarantaine d'années les
liturgistes ont publiés sur la Sainte Messe, et que tous les prêtres de ma
génération ont lus avec avidité à mesure qu'ils paraissaient. Mais comment
indiquer dans ce livre ce que je dois spécialement à chacun d'entre eux? Les
survivants m'excuseront si je me borne à citer une fois pour toutes les sources
précieuses auxquelles je dois d'avoir pu mieux comprendre et mieux goûter toutes
les beautés de Notre Messe. Cette liste n'est pas une bibliographie; d'autres
ouvrages mériteraient certainement d'être recommandés. J'indique seulement ceux
qui m'ont instruit et dont la lecture me lie envers leurs auteurs par un
sentiment de vive gratitude.
Mgr Batiffol, Leçons sur la
Messe. - L'Eucaristie, 5e édition - L.Birot, Le Saint Sacrifice. - Dom
Cabrol, Le livre de la Prière antique. - etc., etc.
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ÈPILOGUE
Au jour de l'Ascension,
"Jésus emmena ses disciples jusque vers Béthanie et, levant les mains, il
les bénit. Et, tandis qu'il les bénissait, il se sépara d'eux et fut élevé au
ciel. Quant à eux, ils se prosternèrent pour l'adorer et ils retournèrent
à Jérusalem le cœur plein de joie".
Oui, vous avez bien lu,
"le cœur plein de joie". Lorsque Jésus les quitte, et pour une
absence qu'ils savent définitive, les disciples ne fondent pas en larmes: ils
s’abandonnent à la joie. Ils sont joyeux des quelques moments d'intimité qu'ils
ont pu vivre avec Jésus ressuscité, qui leur a promis d'être avec eux tous les
jours, jusqu'à la fin du monde. Les premiers membres de la jeune Église
reprennent allégrement le chemin de la ville, groupés autour de Pierre, leur
Chef; ils remontent dans la chambre haute, sanctifiée par l'Eucharistie, et joignent
leurs prières à celles de Marie, la mère de Jésus. Leur cœur est rempli de
joie, car il est proche, le jour où, fortifiés par l'Esprit-Saint, ils
annonceront le mystère de la croix qui a sauvé le monde, unissant leurs
prières, leurs travaux et leurs souffrances au sacrifice de Jésus-Christ.
C'est aussi le cœur plein de
joie, et pour les mêmes motifs, que le chrétien doit retourner chez lui après
avoir pris part au Saint Sacrifice.
Nous devons à notre Messe le
bonheur de pouvoir resserrer de plus en plus notre attachement à Jésus. La
diversité des cérémonies, qui étonne à première vue, n'est qu'apparente, car
tous les rites et toutes les paroles de notre liturgie eucharistique gravitent
autour de la personne adorable de Notre-Seigneur. Chacune de nos messes nous fait
vivre avec lui et nous fait vivre de lui.
Pendant l'avant-messe, nous
venons à l’école de Jésus-Christ, nous sommes ses "catéchumènes",
nous allons l'écouter comme si nous étions les premiers auditeurs de
l'Évangile. " Jésus vint en Galilée, écrit saint Marc, prêchant l'Evangile
du royaume de Dieu." Et il disait: “repentez-vous et croyez." La
première partie de la messe s'encadre entre le Confiteor et le Credo,
expression de notre repentir et de notre foi. "Et il enseignait dans leurs
Synagogues, poursuit saint Luc, et tous le glorifiaient." Nous l'acclamons
nous aussi dans le chant de l'Introït; l'assistance s'écrie tour à tour: Amen,
Deo gratias, Gloria tibi Domine, Laus tibi Christe; et souvent, le Gloria in
excelsis nous permet de publier plus longuement ses louanges. Nous implorons sa
pitié en redisant les Kyrie eleison des infirmes qui le prenaient à témoin de
leur misère; nous lui exposons les besoins de notre âme, en répétant les
psaumes (Graduel, Trait) qui furent sa propre prière; dans la collecte nous
suivons la recommandation qu'il nous fit de "prier en son nom a fin que
notre joie soit parfaite". Mais il est venu nous révéler ce que son Père
l'a chargé de nous faire connaître. Écoutons les saintes lectures de l'Épître
et de l'Évangile; laissons tomber goutte à goutte dans notre âme la doctrine de
celui qui l'a envoyé, et les choses que l'Esprit-Saint a la mission d'apprendre
à son Église pour la guider vers la vérité entière.
Les leçons destinées à notre
instruction, comme les prières intercalaires, varient du début à la fin de
l'année liturgique, si bien qu'en l'espace d'un an nous parcourons les
principales étapes du ministère de Jésus et nous entendons les enseignements
fondamentaux que ses disciples doivent "écouter et mettre en pratique".
A chacune de nos messes, à l'exemple de la sœur de Lazare, " nous nous asseyons
aux pieds du Seigneur, écoutant sa parole".
Bientôt cependant les catéchumènes
s'effacent: voici l'offertoire, où commence la messe des "fidèles"
ceux qui, après l'avoir écouté, sont venus à la suite de Jésus. Pour le suivre, il faut renoncer à nous-mêmes, renoncer à Mammon, renoncer aux affections qui
nous éloignent de lui; il faut prendre notre croix, tous les jours. Jésus, en
effet, nous donne rendez-vous auprès de sa Croix. En vue de célébrer le
mémorial de sa mort, tel qu'il l'institua à la sainte Cène, nous apportons le
pain et le vin qui symbolisent la donation totale de nous-mêmes. Durant les
préparatifs du sacrifice, nous avons tout le temps de nous donner à Jésus; donnons-lui
surtout ce qu'il nous demande et qu'il nous coûte parfois de lui offrir: le
commencement d'une habitude mauvaise, les mortifications d'une passion qui nous
pousse au péché, l'acceptation d'une épreuve. A la question : "Que faire
pour bien communier?" le Père Libermann répondait régulièrement: "Se
sacrifier."
Notre sacrifice n'est pas
plutôt prêt que Jésus s'en empare et le transfigure en une offrande divine: son
corps et son sang occupent la place du pain et du vin. Nous nous étions donnés
et Jésus nous prend, afin que nous puissions avec lui offrir à son Père le
sacrifice total qu'il fit de lui-même au Calvaire et que le Père agréa, en le
ressuscitant et en l'accueillant dans les cieux. Nous offrons Jésus, et Jésus
nous offre. Notre prière se confond avec la sienne, la prière parfaite de
louange, d'action de grâces, de propiation et de supplication.
Avec lui, nous osons dire:
"Notre Père", et, par lui, notre prière rend à Dieu " tout
honneur et toute gloire".
Et quand notre sacrifice a été porté
là-haut, sur l'autel céleste, le Père nous rend la sainte victime, afin qu'elle
soit la nourriture de nos âmes pour la vie éternelle. Nous pouvons recevoir
Jésus: "nous demeurons en lui et il demeure en nous; nous vivons de la vie
qu'il possède en commun avec le Père", nous ne faisons qu'un avec Jésus. La liturgie s'arrête presque aussitôt, Jésus va prier en nous dans le cœur à cœur
silencieux de l'action de grâces, que nous prolongeons devant l'autel.
Quel n'est pas la sublime
simplicité de notre Messe quel n'est pas le bonheur des chrétiens à qui
l'Église procure, chaque dimanche, et tous les jours si faire se peut, une
intimité aussi profonde avec Jésus, Fils de Dieu!
Il n'est pas moins vrai que
notre Messe nous fait éprouver la joie d'appartenir à la grande famille
chrétienne.
Nous avons indiqué plusieurs
fois l'enrichissement que nous vaut cette prière collective, respectueuse de la
personnalité et qui sacrifie seulement le subjectivisme avec ses abus et ses
lacunes. En priant "au pluriel" nous prions pour tous et avec tous
les chrétiens, avec les fervents qui nous entraînent, pour les pécheurs que
nous aidons. Épaulés par les uns, nous soutenons les autres. Nous insérons nos
désirs et nos plaintes dans la grande supplication de toute l'Église. A la messe,
on doit se lever ensemble, s'agenouiller ensemble, prononcer ensemble les mêmes
prières. Si celle que je lis ne me paraît pas répondre à mon état d'âme
présent, je prie pour ceux de mes frères à qui elle convient; et, en la disant
avec humilité, je découvre parfois que j'en avais besoin moi aussi. Tel passage
des lectures rappelle un devoir que ne me concerne pas: je prie alors pour ceux
de mes frères qui ont à l'observer. Qu'il est bon de s'oublier en priant! C’est
le moyen d'entrer dans les voies de l'amour divin: allégé du souci de moi-même,
je puis atteindre Dieu et me reposer en lui.
Notre Messe est un immense acte
de charité, car elle est la prière de Jésus-Christ et de son corps mystique.
Nous faisons notre partie dans le concert des anges; nous prions avec tous les
élus du ciel, et, en premier lieu, avec la bienheureuse Vierge Marie (comme les
disciples au Cénacle) et avec les saints Apôtres; nous offrons pour les âmes du
purgatoire les fruits du saint sacrifice. A la Messe, nous prions avec et pour
tous les chrétiens de la terre, avec et pour notre Saint Père le Pape et notre
archevêque; la prière du plus petit monte vers Dieu avec celle du plus grand.
Le contemplatif et le missionnaire, le riche et le pauvre, le savant et
l'écolier, tous offrent la même victime.
A la Messe, l'espace et le
temps s'évanouissent; nous sommes dans l'éternel "aujourd'hui" de
Dieu. Notre messe est la même qui se célèbre dans la hutte de nos frères Esquimaux
ou sous le chaud soleil de l'Ouganda. Sur toute la terre, quand une messe
finit, une autre commence: 300.000 messes environ se succèdent quotidiennement
au cours des 86.000 secondes qui composent les vingt-quatre heures du jour. Ce
matin, nous rompons le pain comme Paul à Troas, comme saint Jean avec Marie
qu'il avait prise chez lui. Nous rendons grâces comme saint Polycarpe et saint
Cyprien; nous professons la même foi que les martyrs confessèrent sur les
chevalets de torture; nous prenons la même "eucharistie", où ils
puisaient le courage de livrer leur corps et de répandre leur sang par amour
du Christ, qui donna son corps et versa son sang pour nous comme pour eux. Le
Père des cieux entend notre prière en même temps que la leur, en même temps que
celles des chrétiens qui nous relèveront un jour, pour que nous allions
célébrer la messe du ciel. Lorsque nous aurons presque tous disparu de la
scène, l'un des petits enfants qui sont ici sera peut-être un digne prêtre à
cheveux blancs, qui présidera, pour des chrétiens qui ne sont pas encore nés, la
même messe que nous avons chantée aujourd’hui. Et, dans autant de siècles que
Dieu voudra, l'Église répétera la liturgie de notre messe, avec tout au plus
quelques modifications de détail qui seront les repères des temps révolus.
L'Amen des générations à venir fera écho au nôtre. Notre Messe domine les
siècles; la terre est un vaste autel où le Christ et ses membres offrent à Dieu
une éternelle louange. L'humanité rachetée ne forme plus - le mot est de saint
Augustin - qu'un homme unique dont la prière dure jusqu'à la fin des temps.
Comme les disciples, après la
dernière bénédiction de Jésus, retournèrent à Jérusalem pleins de joie, allons,
nous aussi, continuer le sacrifice de Christ dans notre vie, en mêlant
l'offrande de nos actions quotidiennes à celle de notre Rédempteur. C'est le sens
de la prière "Actiones nostras" que le prêtre récite après la messe,
lorsqu'il dépose les vêtements liturgiques: " Prévenez "nos actions,
Seigneur, en nous les inspirant, et aidez-nous " à les accomplir, afin que
toutes nos paroles et tous nos actes commencent avec vous et se terminent pour
vous."
Notre Messe se poursuivra dans
notre vie si nous offrons à Dieu notre travail de chaque jour en union avec le
sacrifice de Jésus. L'obéissance à vos devoirs d'état prolongera l'adoration de
votre messe. Vos fatigues et vos peines, offertes à Dieu avec les souffrances
du Sauveur au Calvaire, continueront la propitiation de votre messe. Ne les
avez-vous pas présentées à l'offertoire, avec vos travaux journaliers et les
tâches de la maison? La main qui soulève l'outil pesant, et celle qui se crispe
à force d'écrire, et celle qui pousse patiemment l'aiguille continuent d'offrir
le Christ que le chrétien a reçu à la messe. Vous faites de votre vie une
"anaphore", une élévation vers Dieu.
Faites-en de même une donation
du Christ à vos frères, en les associant aux heureux effets de votre communion
par votre charité. " La communion sans les œuvres de charité, écrit Mgr
Gerbet, serait un sacrifice sans action de grâces." Bienveillants et
serviables, patients et indulgents, vous donnerez aux autres les fruits de
l'Évangile, et vous vous attacherez davantage au Christ qui les produit en
vous. " Quand tu te jettes aux genoux de tes frères, dit Tertullien, c'est
le Christ que tu étreins, c'est le Christ que tu pries."
La Messe est, enfin, le foyer
de toute vie apostolique. En voyant l'athéisme déferler sur le monde,
matérialisant les âmes, rabaissant les aspirations humaines aux seules
satisfactions de la terre, exaltant l'égoïsme à tous les étages de la société,
on se demande comment arrêter ce fléau dévastateur? Un miracle est nécessaire:
Dieu seul peut briser les forces du mal. Or ce miracle est à notre portée:
c'est notre Messe qui oppose au règne du péché le règne de Dieu, en renouvelant
le sacrifice de la Croix. La messe est l'antidote du blasphème: par elle la
terre reste fidèle à Dieu. Elle renouvelle et perpétue la défaite de Satan: par
elle, l'esprit de Jésus grandit et se développe dans les âmes. "Quand le
prêtre célèbre, il édifie l'Église", il la bâtit, il l´élève, il
l'amplifie. Chrétiens, retournons pleins de joie à l'œuvre de la reconstruction
du monde, dans toutes les nations et jusqu'à la fins des siècles; c'est par
notre Messe, comprise, aimée et vécue, que nous hâterons la victoire de
Jésus-Christ.
"Il est là.
"Il est là comme au premier jour.
"Il est là parmi nous comme au jour
de sa mort.
"Éternellement il est là parmi nous
autant qu'au premier jour;
"Son corps, son même corps, pend
dur la même croix;
"Ses yeux, ses mêmes yeux,
tremblent des mêmes larmes;
"Son sang, son même sang, saigne
des mêmes plaies;
"Son cœur, son même cœur, saigne du
même amour.
"Les même sacrifice immole la même
chair, le même sacrifice verse le même sang.
"C'est la même histoire, exactement
la même, éternellement la même, qui est arrivée dans ce temps-là et dans ce
pays-là et qui arrive tous les jours de toute éternité.
"Dans toutes les paroisses de toute
chrétienté. ** "
** CH.PÉGUY, Le
mystère de la charité de Jeanne d'Arc, p. 83